Le conte de la Princesse-Panthère

Il était une fois un petit royaume que ses souverains s’appliquaient avec honnêteté et droiture à faire prospérer. Ils avaient mis au monde une enfant, belle et joyeuse. Elle respectait toutes les consignes qu’on lui donnait et se comportait comme une enfant sage. Tout allait pour le mieux.

Pourtant lorsque la princesse arriva à l’âge d’être jeune fille survint une chose incroyable. Alors qu’elle se préparait à se coucher, que la nuit tombait, elle sentit son corps se transformer. Il lui semblait qu’elle devenait plus svelte et élancée. La perception qu’elle avait des limites de son corps se modifiait, devenant plus aigüe. Elle sentait sa peau frissonner et comme recouverte d’un épais duvet. Sa perception de l’environnement de la chambre se modifiait, elle aussi : elle se sentait comme à l’écoute du moindre bruit, comme à l’affût du moindre mouvement. Il lui sembla voir, malgré l’obscurité, une petite souris se faufiler à travers la chambre et une envie irrésistible de se jeter sur elle pour l’attraper la saisit. La fenêtre était ouverte, elle s’y rendit et sauta sur l’appui avec facilité. Elle huma l’air frais de la nuit et l’appel de la liberté se fit sentir. Elle s’élança par la fenêtre et se réceptionna avec souplesse à quatre pattes sur le sol. Elle partit alors dans un course délicieuse toujours au ras du sol et sans peiner, elle qui détestait courir. Elle vit défiler les prairies, les vallons sous le clair de lune. Elle rejoignit une grande futaie et se percha dans un arbre pour observer la nuit. Elle se sentait merveilleusement libre, dotée de capacités inconnues d’elle-même jusque-là. Prenant le temps de regarder son corps elle se découvrit recouverte d’une épaisse fourrure sombre et luisante. Elle se dirigea vers un petit lac qu’elle connaissait et se mirant dans l’eau se vit dans le corps d’une splendide panthère noire. Ses grands yeux bruns étincelaient. La princesse était interloquée. Comment cela s’était-il produit ? Que lui était-il arrivé ? Elle crut qu’elle rêvait mais avançant les pattes dans l’eau froide elle la vit perler sur elle. Elle décida de ne pas se soucier et profita de ses nouvelles capacités Elle parcourut le pays une grande partie de la nuit. Puis se sentant lasse, elle décida de regagner le château. Elle remonta dans sa chambre par la fenêtre, d’un seul bond et se couchant sur le lit, à même la couverture, elle s’endormit en rond comme le font les chats. Grand bien lui en avait pris car aux premières lueurs de l’aube, elle redevint la jeune fille que tout le monde connaissait. Elle eut bien du mal à expliquer à la femme de chambre venue lui porter son petit déjeuner pourquoi elle dormait nue sur le lit et avait tant de mal à se réveiller et finit par inventer un cauchemar au milieu de la nuit. Elle était d’ailleurs bien sûre, au final, qu’il ne s’agissait que d’un rêve. Un rêve bien agréable, au demeurant. Sa journée lui parut longue et fatigante et lorsqu’au moment de se glisser dans son lit elle aperçut le ciel rougeoyant par la fenêtre, elle sentit à nouveau le trouble de la veille. Elle ne rêvait donc pas. Elle choisit de dormir pour récupérer et de voir ensuite comment tournerait l’affaire.

Elle se lova sur son lit et s’endormit. C’est le hululement d’une chouette qui la réveilla. Humant l’air frais de la nuit elle bondit vers la fenêtre et en moins de temps qu’il faut pour l’écrire se retrouva dehors batifolant dans la forêt. Elle se sentait plus reposée et bien décidée à profiter de cette liberté. Elle déambula sans but dans la campagne et les sous-bois, tantôt marchant à pas lestes, tantôt courant, se sentant presque voler tant son allure était grande. Elle s’esclaffait, riait de tant de facilités, de tant de nouveauté. Quand l’envie la prenait, elle grimpait promptement sur un monticule, un mur ou un arbre et scrutait la nuit. Quel bonheur de percevoir les allées et venues de tous les petits animaux de la forêt, chacun vaquant à ses affaires. Ses oreilles pointées elle entendait des murmures et comme des petits rires ou des petits cris monter des herbes hautes. Quel foisonnement de vie dont elle ignorait l’existence jusqu’à il y a si peu ! Tout cela la ravissait au plus haut point. Elle dut bien quelquefois se contenir de sauter sur un lièvre ou un lapereau ; son instinct était là et l’incitait à croquer ses petites bêtes avec délice. Mais leur seule vue la retenait : c’était si fantastique de les observer, tellement nouveau. Quand elle sentit l’aube approcher, elle rentra dans sa chambre au château et eu soin de se mettre sous les draps en attendant le jour. Une fois encore, elle reprit sa forme initiale à peine le soleil revenu.

Au bout de quelques jours, elle ne s’étonna même plus de ses métamorphoses nocturnes et elles lui procuraient tellement de joie de vivre qu’elle s’en réjouissait plutôt. Elle finit par se lier d’amitié avec d’autres félins de la forêt. Ils se retrouvaient chaque nuit avec joie et partageaient de longues promenades et des courses folles à travers champs.
Cependant, on ne peut vivre la nuit et le jour. Elle commença à afficher, la journée, de plus en plus de fatigue et de pâleur. Ses parents s’en inquiétèrent mais elle se sentait en totale impossibilité de leur relater ce qui lui arrivait sous peine d’être prise pour une folle. Elle prétexta qu’elle faisait de nombreux cauchemars qui la tenaient éveillée plus que de raison et obtint la permission de faire de longues siestes. La reine lui fit rencontrer des mages qui l’examinèrent sans trouver de remède à son mal ; sans même soupçonner de quel mal il pouvait s’agir, d’ailleurs.

Pourtant, un soir, le roi voulu en avoir le cœur net. Il se posta devant la chambre de sa fille et discrètement en ouvrit la porte au moment où elle sautait par la fenêtre. Il vit, bien sûr, un splendide félin qui s’élançait dans la nature sans comprendre comment un tel animal avait surgi dans la chambre de son enfant, ni ce que cette dernière était devenue. Il décida de rester en faction et alla se munir d’un arc et de flèches. Il finit par s’assoupir sur le coin du lit de sa fille. Il était ainsi endormi, plié en deux sur le lit lorsque celle-ci rentra. Elle se glissa sans faire bruit sous les draps et s’endormi attendant le jour pour redevenir la jeune fille connue de son père. Il s’éveilla avant elle avec les rayons du soleil et fut bien surpris de la trouver là. Il sortit à pas de loup de la chambre et rejoignit son lit, bien décidé à renouveler sa surveillance le soir même.

La lune à peine sortie de derrière l’horizon, il se posta à nouveau et tira avec son arc quand il vit la panthère sur la fenêtre. La flèche se ficha dans le dos de l’animal, au milieu de son thorax lui arrachant un feulement rauque aussitôt suivi d’un cri de douleur de la jeune fille. En effet, la blessure avait rompu le charme et elle était redevenue instantanément femme dans la partie haute de son corps. Mais en dessous de la blessure, son corps restait animal. Elle se roula de douleur sur le sol. Le roi éperdu de sa méprise ne savait que faire. Il attrapa l’extrémité de la flèche avec l’intention de l’extraire de la plaie mais la pointe cassa dans le dos de la princesse toujours en proie à de violentes douleurs. Des larmes plein les yeux, le monarque prit sa fille dans ses bras, la berça et la déposa dans son lit. Il fit quérir à la hâte son médecin, à qui il fit jurer le silence avant de le laisser examiner la princesse. Elle était désormais prostrée dans son lit, la pointe de flèche cassée dans le dos lui déchirant les muscles et faisant saigner sa blessure.

– Il faut extraire la flèche sans tarder, Votre Majesté, énonça le médecin.

Il fit chercher son matériel et le roi demanda à la fée, marraine de la princesse, de venir l’assister. Elle était toujours de bon conseil. Elle exigea que ce soit le roi, responsable de la blessure de sa fille, qui effectue les soins.

Ils lui firent déposer de l’huile de lumière qu’il trouva dans son propre cœur, sur la flèche afin qu’elle glisse plus aisément de la plaie. Quand celle-ci fut récupérée, on lui demanda encore de masser la plaie avec du baume de lumière, cette fois, pour que tout cicatrise. Le roi agissait avec beaucoup de délicatesse et de précaution ; il s’en voulait tellement d’avoir blessée son enfant. Doucement les plaintes de la jeune fille cessèrent et elle s’endormit.

De retour dans la grande salle du palais, le roi, la fée et le médecin se concertèrent et tombèrent d’accord que « l’anomalie » de la princesse ne pouvait qu’être héritée d’une histoire lointaine.

La fée qui était très âgée, comme la plupart des fées, se remémora l’histoire d’une lointaine ancêtre qui, jeune femme, avait fui la maison de ses parents pour retrouver ceux de son âge et découvrir les plaisirs de la jeunesse. Son père, très en colère de ses escapades, l’avait enfermée dans une tour et elle s’était laissée périr de désespoir tournant en rond comme une bête fauve en cage. Nul doute qu’il y avait un lien avec la « maladie » de la princesse.

Il fut décidé que le roi martèlerait la pointe de flèche, après l’avoir chauffée au rouge pour la transformer en un petit cœur. Ce médaillon serait alors déposé sur la tombe des ancêtres afin que l’ancienne histoire se termine à jamais. Ainsi fut fait.

La princesse retrouva son corps humain dès que le cœur fut déposé sur la tombe. Elle n’oublia jamais son vécu dans la forêt. Le roi quant à lui la laissa explorer la nature, restant vigilent à sa sécurité. Jamais il ne mis de frein à ses envies d’explorer la vie et elle s’épanouit en beauté et en grâce. Elle trouva un prince à son goût et ils furent heureux durant de très nombreuses années.